Nieuwsbrief
La Lettre du Temps Retrouvé
Janvier 2025
La rentrée littéraire Hiver 2025

Plusieurs beaux et émouvants romans, d’auteurs que vous aimez bien, ont été publiés en février : Philippe Besson, dont l’écriture, simple et sensible, sollicite d’emblée nos émotions, a choisi un sujet, hélas, très actuel, le harassement scolaire et la démission des éducateurs, Thomas Reverdy retrouve un des lieux de son enfance; il s’agit du second livre d’une nouvelle collection originale chez Flammarion, Retour chez soi, et puis L’annonce, le nouveau roman de Pierre Assouline, un récit quasi autobiographique, d’un jeune militant qui s’engage, avec quelques très rares autres français, en 1973, pour apporter son soutien à Israël, pendant la guerre du Kippour; l’auteur nous livre un récit sincère, roman sur l’apprentissage de la vie, loin des polémiques,
Plusieurs essais sont publiés ce mois de février et notamment la réédition d’Uchronie, un livre d’Emmanuel Carrère écrit en 1986, à une époque où ce genre littéraire n’était pas encore à la mode.
Nouveauté pour notre Lettre : la rubrique Nos abonnés ont lu pour vous; dans cette nouvelle rubrique, nos lecteurs nous donnent leurs avis et leurs impressions sur un livre qu’elles ou ils ont aimé. Choisissez le livre que vous voulez, roman, essai ou bande dessinée, et faites nous partager votre enthousiasme et vos coups de cœur. Vous êtes toutes et tous cordialement invités à nos envoyer vos textes à info@letempsretrouve.nl. Nous les publierons dans notre Lettre.
Romans
Vous parler de mon fils, Philippe Besson
Juillard
Date de parution : 2 janvier 2025
ISBN : 9782260056300, 208 pages
” La souffrance endurée, lui passait au-dessus de la tête. La détresse, le malaise, n’entraient pas dans sa grille de lecture. De quoi nous rendre fous.
Il a poursuivi : “Qui plus est, je dois vous mettre en garde. Vous êtes en train d’initier une procédure, qui, in fine, peut se retourner contre vous.” (…) Il a continué a dérouler : “Et toute cette histoire va mettre notre personnel en porte-à-faux, je veux dire les professeurs (…) ce n’est pas vous qui vous coltinez, après, leurs états d’âme. Et leurs syndicats. (…) Le coup de grâce pourtant nous attendait : ” En fait, le mieux ce serait que votre fils se reprenne, ou change son comportement. S’il était plus solide, s’il s’affirmait davantage, ce serait plus facile évidemment.” ” p.94-96
Insensibilité, jeu, sadisme, inconscience, la cruauté de certains enfants est connue. La cour d’école, relayée par les réseaux sociaux, est le lieu où elle s’exprime le plus naturellement. Les bourreaux ne sont pas les seuls coupables. Non moins grande est la responsabilité de ceux qui assistent et jouissent du martyre d’un enfant persécuté, de ceux qui n’osent pas intervenir, mais aussi celle des parents des bourreaux. Philippe Besson n’invente rien et ne fait que traduire une réalité. Nous connaissons tous, dans notre entourage, quelqu’un dont l’enfant est victime de harcèlement. Ce que l’auteur décrit est tristement banal. Il montre combien le système scolaire français est défaillant. Un système qui encourage ceux qui ont la responsabilité de la sécurité de nos enfants à ne rien faire, ou presque rien, pour protéger les enfants victimes de harcèlement. Le comportement du principal du collège, ainsi que celui de la quasi totalité du corps enseignement, tels qu’ils sont décrits dans le livre, ne relèvent malheureusement pas de la fiction : Pas de vagues, c’est le titre d’un film récent, qui illustre tristement et parfaitement le renoncement, la démission de l’Éducation nationale en France.
Philippe Besson sait trouver les mots pour décrire l’insupportable douleur, le désarroi, le sentiment d’impuissance des parents face à la souffrance, puis à la mort de leur enfant. Alors, comme ceux qui participent à la marche blanche en souvenir d’Hugo, l’enfant martyre du roman de Philippe Besson, c’est à nous, c’est à vous, de faire en sorte de pallier la faillite d’un système scolaire qui n’en finit pas d’imploser, en faisant inlassablement comprendre à nos enfants et nos petits enfants qu’ils ont tout à gagner à respecter l’autre, même si il est différent.
Pierre-Pascal Bruneau
6 avenue George V, Thomas B. Reverdy
Flammarion, collection Retour chez soi
Date de parution : 29 janvier 2025
ISBN : 9782080455970, 224 pages
” Je regarde Mickaël (Denard) danser L’Oiseau de feu sur la musique entêtante de Stravinski et je sais que ma mère était d’un autre monde. Elle était sortie de la caverne. Elle avait vu le soleil.
Elle avait été danseuse.
Elle allait à l’Opéra.
Elle savait lire.
– Ça sauve une vie.
Elle avait été follement amoureuse.
– Une deuxième fois, ce qui tient du miracle.” p.180
Le nouveau livre de Thomas Reverdy est le second d’une toute nouvelle collection de chez Flammarion, Retour chez soi. Chaque livre de cette collection a comme titre une adresse. Un peu comme la collection de chez Stock, Ma nuit au musée, le temps d’une journée et d’une nuit, l’auteur a pour lui ou elle seul(e), les clés d’un lieu intimement lié à son histoire personnelle. Le premier livre de la collection, paru en octobre 2024, est 11, quai Branly, de Mazarine Pingeot, lieu où elle vécu de neuf à seize ans.
Thomas Reverdy, pour son Retour chez soi, choisit de passer une nuit dans le studio de danse où sa mère, tous les samedis, suivait l’enseignement d’un professeur d’origine russe, en compagnie de plusieurs de ses amies.
Le petit Thomas, fils unique, reste assis sur les dernières marches de l’escalier qui mène au studio pendant toute la durée du cours. Il écoute, regarde, s’amuse avec ses petites voitures. Sa mère, Thomas Reverdy en parle bien, avec sensibilité et affection. Il faut dire qu’elle est assez exceptionnelle : brillante économiste, passionnée de danse, elle exercera cet art difficile de façon quasi professionnelle, remplaçant même, pour un soir, une danseuse de la troupe de l’Opéra de Paris, blessée lors d’une tournée. Le lieu n’a guère changé. Même si aucune image ou sensation ne surgit de sa mémoire, contrairement à la célèbre scène de Du coté de chez Swann, que Thomas Reverdy qualifie irrévérencieusement de “biscuit trempé dans du pisse-mémé tiède“, ce retour lui permet d’évoquer, avec beaucoup de délicatesse le souvenir d’une mère adorée. Partie trop tôt, à l’âge de cinquante ans, âge de l’auteur aujourd’hui, il va à la recherche de sa mère et de ses souvenirs, dans ce quartier qu’il ne fréquente plus depuis longtemps. Et il a bien changé ce quartier. Le Bar des théâtres n’a plus rien à voir avec ce dont il a le souvenir. Il n’est aujourd’hui plus que l’ombre d’un passé prestigieux. Aux yeux de l’auteur, ce Retour chez soi est empreint d’une grande mélancolie car tous les lieux familiers de son enfance ont perdu leur magie et leur âme. Mais si Thomas Reverdy va de déception en déception, pourtant, cette nuit ravive vertigineusement le souvenir de sa mère. Un retour chez soi réussi qui séduira celles et ceux qui ont perdu, parfois trop tôt, un être cher.
Pierre-Pascal Bruneau
L’annonce, Pierre Assouline
Gallimard, Collection Blanche
Date de parution : 13 février 2025
ISBN : 9782073047298, 336 pages
“Depuis le temps que je traîne en Israël, en vacancier, en volontaire, en reporter, en écrivain, il fallait que ce soit ici, dans le cadre impersonnel et verni de la cantine d’un grand hôpital, que, en les écoutant, je prenne conscience que les Israéliens sont là depuis plusieurs générations, qu’ils ont construit tout ça de leurs mains, qu’ils sont ici chez eux, qu’ils n’ont jamais eu d’autre patrie, qu’ils sont prêts à mourir pour continuer à y vivre et qu’ils ne partiront pas, parce qu’ils n’ont nulle part où aller.” p.255
Le 6 octobre 1973, cinquante ans avant l’horreur du 7 octobre 2023, débute la Guerre du Kippour. De jeunes français se portent volontaires pour soutenir Israël dans son effort de défense. En 1967 les volontaires français lors de la Guerre des six jours avaient été plus un fardeau qu’un soutien véritable : “L’invasion dans le désordre de centaines de volontaires enthousiastes, mais inutilisables, sans planification préalable, ne pourra à nouveau que causer des frustrations réciproques. […] (Union des Juifs de France, d’Afrique du Nord et des Communautés d’Expression Française en Israël)”. En 73 les autorités israéliennes encadrent donc mieux les volontaires : 6 heures de travail par jour avec obligation d’accepter« tous les travaux exigés », et un engagement d’une durée minimum de trois à quatre mois, afin d’éviter “les touristes”. Résultat, Raphaël, le personnage principal et narrateur de L’annonce, est affecté à la surveillance des tarnigolim, c’est à dire… des dindons. Pas grand chose à voir avec la Brigade Internationale de Malraux et d’Hemingway. En exergue de son livre Comment écrire, Pierre Assouline cite Robert Pinget « Écrire, pour moi c’est respirer. Tout ce qu’on peut en dire d’autre c’est du baratin ». Et bien L’annonce c’est très précisément cela, pas du baratin mais un livre sincère, touchant et vrai, écrit comme on respire. Cette sincérité permet à Pierre Assouline d’éviter l’écueil de la profession de foi, du livre politique d’opinion, voir du pamphlet, tout en disant pourtant clairement les choses, sans langue de bois. Le livre décrit, souvent avec humour, la vie de ces jeunes volontaires. C’est par hasard que notre héros fait la rencontre d’Esther. Ce sera son premier amour, premier choc sentimental. Une femme extraordinaire, dont la tâche, annoncer aux familles la mort d’un fils, d’un père ou d’un frère, la consume de l’intérieur. Puis leurs chemins se sépareront, pour longtemps, jusqu’à ce que Raphaël, cinquante ans plus tard, lors d’un voyage en Israël, la retrouve au hasard d’une visite aux urgences d’un hôpital de tel Aviv. Un superbe roman, très personnel, un récit qui permet de mieux comprendre, au delà d’une inévitable polémique, le point de vue d’un peuple, comme le dit Pierre Assouline, en permanence entre deux guerres.
Pierre-Pascal Bruneau
Essais
Uchronie, Emmanuel Carrère
P.O.L
Date de parution : février 2025
ISBN : 9782818063330, 224 pages
“L’uchroniste sait bien que son seul champ de bataille c’est la mémoire (…). Sa chimère n’est efficace que si elle résulte d’un constat d’impuissance irrémédiable et s’il a pour la rêver ce que les juristes appellent un suffisant “intérêt pour agir” – mais il n’est question d’agir. L’uchronie n’est qu’un jeu. Injouable par nature, car on ne révoque pas l’irrévocable, sérieux néanmoins. ET triste à tous les coups.” p. 88
Ce livre est paru la première fois en 1986 sous le titre Le Détroit de Behring (P.O.L). Emmanuel Carrère a alors 28 ans. Quelques années plutôt, il avait pris ce thème pour sujet de mémoire à l’École des sciences politiques. Ce sujet, il le choisit en partie parce qu’il trouve, nous dit-il en préface de son livre, “Bizarre, a priori, qu’on écrive si peu d’uchronies, ou qu’elles soient si peu connues, bizarre aussi qu’on écrive pas sur l’uchronie.” Heureux de se sentir “le défricheur d’un champ de connaissance, même dérisoire”, il s’attaque vaillamment à son sujet et en tire un essai, publié ce mois-ci, après quarante années d’oubli. Il est vrai que depuis les années quatre-vingt, l’uchronie est devenue un genre littéraire prisé. Laurent Binet, pour ne citer que lui, y a consacré deux livres : Civilization et tout récemment Perspective(s) (Grasset), dont nous avons abondamment parlé lors de ses deux visites à Amsterdam.
À l’époque, nous dit Emmanuel Carrère, il existe très peu de chose sur l’uchronie : rien à la Bibliothèque nationale, pas de bibliographie, aucun ouvrage de référence. Il se sent donc parfaitement libre de dire ce qu’il veut. Son essai, repose ainsi sur une analyse d’uchronies écrites au cours des deux derniers siècles. Cousine de la dystopie, l’uchronie se distingue de l’utopie et ne doit pas être confondue avec le roman historique, voire avec le roman dans son ensemble. Car si toute oeuvre de fiction modifie certains éléments du passé, le déroulement de l’Histoire n’en est in fine pas affecté. Fabrice n’a aucun impact sur la bataille de Waterloo et même si Dumas “fait craquer sous son poids tous les degrés de l’échelle par laquelle communique histoire et roman”, tout rendre dans l’ordre à la fin de ses romans, le cours de l’Histoire n’ayant finalement pas été dévié… même s’il s’en est fallu de peu. Carrère évoque deux grandes uchronies, Napoléon apocryphe, l’histoire de la conquête du monde et de la monarchie universelle, d’un certain Louis-Napoléon Geoffroy-Château, (cela ne s’invente pas), publié en 1836 puis en 1841, et Uchronie, selon l’auteur, “le livre clé de la matière”. Si le premier, qui a, on le comprend, rencontré, en son temps, un franc succès, est séduisant et accessible, le second est, nous dit Emmanuel Carrère, d’une lecture particulièrement ardue. Écrit par Charles Renouvier en 1876, il est présenté par son auteur comme un authentique manuscrit du XVIème siècle. Renouvier, philosophe bien oublié, fondateur du néo-criticisme inspiré par la pensée de Kant, a créé le terme d’uchronie. Dans son énorme ouvrage, il réécrit l’histoire des peuples, depuis la Rome antique jusqu’au XVème siècle. Il imagine un monde dans lequel la philosophie, après bien des guerres, invasions et crises, “comme en vrai”, triomphe du christianisme. Un essai passionnant d’un jeune auteur de 28 ans dont le style annonce déjà le Carrère d’aujourd’hui, incisif, drôle et pertinent.
Pierre-Pascal Bruneau