Nieuwsbrief
La Lettre du Temps Retrouvé
Septembre 2024
La rentrée littéraire (suite)
Voici la suite de nos recommandations de livres de la rentrée littéraire.
Le rêve du jaguar, Miguel Bonnefoy
Rivages
Date de parution : 21 août 2024
ISBN : 9782743664060, 304 pages
“On glissa toutes les images dans une enveloppe blanche, coincées entre des cartons protecteurs. Ce fut une procession titanesque de vieilles dames en robes à fleurs et bigoudis qui se dirigea vers la poste, en un seul bloc, après avoir fait une cagnotte, et qui adressa un colis au Cinéma Français, à Paris, France, de toutes les femmes de Maracaibo, État de Zulia, Venezuela.” page 191
La langue française est en péril, mais le danger ne vient pas nécessairement de là où on l’attend. Comme nous le dit le rapport de l’Académie française, intitulé N’ayons pas peur de parler français (Plon, 2024), la trahison vient d’abord de l’État français lui-même (voir ci-dessous notre rubrique documents et essais).
Bien heureusement, autrices et auteurs, défendent et font vivre notre belle langue. Parmi eux et elles, les autrices et auteurs francophones, étrangers ou d’origine étrangère, y contribuent avec force. Miguel Bonnefoy est l’un deux. De livre en livre, depuis son premier, Le voyage d’Octavio (2015), puis avec Sucre noir (2017), Héritage (2021), et l’Inventeur (2023), tous publiés chez Rivages, l’auteur d’origine vénézuélienne, nous charme et nous séduit, au rythme d’une prose superbe, musicale et alanguie, mais aussi précise et bien construite.
Le rêve du jaguar est une histoire d’amour. Antonio, un enfant trouvé, bébé, sur les marches d’une église de Maracaibo, est adopté par une mendiante, muette. Il devient un grand cardiologue. Sa femme, Ana Maria, qu’il rencontre sur les bancs de l’école, sera une des premières femmes médecin du pays. Ils ont une fille, qu’ils nomment Venezuela, comme leur pays. Elle rencontre à Paris un réfugié chilien qui a fui Pinochet et la dictature.
Miguel Bonnefoy mêle habilement une saga familiale à l’histoire du Venezuela. On y retrouve la folie et les mythes du Sucre noir des caraïbes, le noir du pétrole découvert en 1914, mais aussi celui des années de dictature jusqu’à celle d’Hugo Chavez. Produit de deux langues et de deux cultures, Miguel Bonnefoy vous emportera, entre Paris, la vieille Europe et l’Amérique Latine, dans un tourbillon éblouissant, à la rencontre d’aventuriers, de rebelles révolutionnaires, de bandits, de fantômes, et de toutes sortes de personnages hauts en couleurs.
Pierre-Pascal Bruneau
Monologue de la louve, Gilles Leroy
JC Lattès, collection Bestial
Date de parution : 21 août 2024
ISBN : 9782709672818, 288 pages
« La puissance de mes doigts m’étonnait. Et quand j’ai regardé mes ongles, ça n’était plus des ongles, l’idée même de doigts avait disparu, les griffes étaient nées, de longues griffes noires, épaisses, acérées, et sur le dos de mes mains, si on peut encore appeler ça des mains, le poil gris avait poussée pour de bon. J’ai pensé C’était donc ça. Ça que ma disait mon rêve. ” p. 232-233
Lorsqu’on entend le nom « Hécube », les souvenirs de la Guerre de Troie reviennent, les lectures d’Homère, parfois quelques vers d’Euripide ou d’Ovide. Toujours, Hécube est la mère éplorée et digne, que même les déesses prennent en pitié, jusque dans sa cruelle vengeance. Ce que notre tradition a moins retenu est sa métamorphose en chienne. Voici le point de départ choisi par Gilles Leroy pour raconter l’incroyable destin de cette fameuse reine troyenne. L’auteur décide de donner la parole à Hécube devenue louve et emporte le lecteur dans un beau monologue, très agréable à lire. Certes, l’histoire n’est pas nouvelle mais il est intéressant de la lire du point de vue des vaincus, plus précisément des femmes vaincues, devenues butin. Tout à coup, les héros sont moins valeureux que détestables ; leurs exploits deviennent simples tromperies, actions vides de sens, guidées par l’appât du gain. Tous ces guerriers semblent bien petits face aux nobles sentiments d’une femme qui eut pour seule échappatoire la métamorphose animale. Finalement, ce texte nous rappelle que, même mythique, une guerre n’est qu’une somme déraisonnable de souffrances imméritées.
Véronique Fouminet
Cœur, Thibault de Montaigu
Albin Michel
Date de parution : 21 août 2024
ISBN : 9782226493217, 336 pages
« “Mais l’assaut qu’a mené ton arrière-grand-père est la dernière charge au combat, c’est à dire dans une bataille rangée. Tu imagines le cran de ces types quand même, galopant ventre à terre, au milieu des balles et des obus qui pleuvaient sur eux. Non mais tu t’imagines…” Et soudain mon père n’était plus dans cette chambre à l’odeur d’ammoniac et de linge humide, mais sur une plaine de Champagne, chevauchant un robuste demi-sang, dans une tornade de sabots. » P.22
Thibault de Montaigu nous livre avec Cœur un récit magnifique sur l’amour d’un fils pour son père. Emmanuel, le père de Thibault, est un irréductible charmeur. Rêveur, il fourmille d’idées géniales censées le tirer de l’embarras financier dans lequel il se trouve en permanence. Un embarras dû à ses frasques et à ses excès en tous genres. Malade, il intime à son fils Thibault d’écrire l’histoire de son aïeul Louis, mort le sabre à la main, alors qu’il menait au combat, et à une mort certaine, son régiment de cavalerie en 1914, au tout début de la Grande Guerre. Ce livre, Thibault va tenter de l’écrire en se lançant, avec application, dans un minutieux travail de recherche. Pourtant, plus que l’histoire du grand oncle Louis, c’est sa propre histoire et celle de l’amour qu’il porte à son père qu’il raconte. L’enquête que mène l’auteur nous fait rencontrer des personnages sortis tout droit de La Recherche. Veuves de guerre, aristocrates flamboyants et désargentés, dignes, drôles aussi, leur histoire est tissée de gloire, de détachement, d’amour et de courage. Vous serez émus et captivés par ce récit sensible et sobre.
Pierre-Pascal Bruneau
Très belle rentrée littéraire, cette année, riche et variée, avec des livres d’auteurs que vous connaissez bien, comme Maylis de Kerangal, Kamel Daoud, Amélie Nothomb bien sûr, Camille Pascal, Philippe Jaenada, Sandrine Colette, Yann Quéffelec ou de jeunes auteurs comme Gaël Faye ou Abel Quentin, célébrés pour leurs premiers romans. Mais vous découvrirez aussi les livres de jeunes auteurs pas encore très connus mais qui ne devraient pas tarder à l’être.
Nous avons, cette année, grâce à nos chers éditeurs, reçu par avance beaucoup d’épreuves des romans de la rentrée littéraire. Parmi la masse, imposante, de livres de la rentrée littéraire, nous avons fait pour vous une première belle moisson.
Découvrez nos premiers coups de cœur. Nous continuerons, dans notre prochaine lettre, fin septembre, à vous faire découvrir les réussites de cette belle rentrée littéraire.
Romans
Jour de ressac, Maylis de Kerangal
Éditions Verticales
Date de parution : 15 août 2024
ISBN : 9782073054975, 256 pages
« Il était midi quand je suis montée sur la digue – je voulais faire moi aussi la promenade du phare. Un halo d’humidité flottait sur la jetée, qui s’est évanoui dès que je me suis approchée, la barre devenant alors très réelle, tendue, et rehaussée côté mer d’un muret de béton tel un rab de rempart, si bien que j’entendais les vagues cogner contre la muraille, le boucan du ressac, mais je ne voyais rien. Au loin, le phare projetait son désœuvrement sur l’avant-port, flou et solitaire, résigné à attendre le soir pour émettre sa signature lumineuse : un éclat rouge toutes les cinq secondes visible à vingt et milles nautiques. Le battement cardiaque de la nuit polaire. » p. 105
Le roman s’ouvre sur un déroutant appel téléphonique : un policier convoque la narratrice, pour une affaire la concernant, au commissariat du Havre. Voilà qui a de quoi la surprendre ! D’autant plus qu’elle a quitté la ville de son enfance depuis bien longtemps. Cependant, elle n’a pas le choix et se rend donc au Havre, dès le lendemain, laissant là mari et fille. A-t-on ouvert un roman policier ? Oui… et non ! Certes, un cadavre a été découvert et le crime doit être élucidé, mais le lecteur suit surtout les pensées et les rencontres de la narratrice, qui semble être un double de l’autrice. Dans une narration à la première personne, où les temporalités s’entremêlent, le lecteur découvre la ville au gré des émotions et des déplacements. Un détail du présent suffit à faire surgir son double d’autrefois et l’enquête se transforme en exploration du passé de la ville et de la narratrice. L’autrice fait entendre les émotions, les troubles de son personnage, grâce à son style remarquable, parfois proche de la prose poétique. Toujours attentive à la voix, elle sait transcrire les rythmes et les intonations de chacun. La précision du vocabulaire vient soutenir les images étonnantes et les associations d’idées parfois surprenantes dans des descriptions remarquables.
Quel bonheur de retrouver Maylis de Kerangal !
Véronique Fouminet
La nuit de David, Abigail Assor
Gallimard, Collection Blanche
Date de parution : 22 août 2024
ISBN : 9782073074263, 192 pages
“Ce que je voudrais dire, puisque vous êtes là, puisque vous avez bien voulu écouter cette histoire, c’est que j’ai agi à dix ans en connaissance de cause. J’étais d’accord avec ce que nous allions faire. C’était notre vraie langue, la langue Barbapapa, notre langue immémoriale. J’avais reçu le message cinq sur cinq.” p.157
La nuit de David, c’est l’histoire de deux jumeaux, un frère et une sœur. David est instable et turbulent. Il vit dans son monde, mord parfois, crie souvent et se rebelle, frustré de ne pas être entendu, compris. Olivia, sa sœur, Olive pour David, le protège et se fait un rempart contre la société qui le considère comme fou. Mais qui est vraiment fou ? Est-ce que tout ce qui ne cadre pas avec la norme relève nécessairement de la folie ? Le comportement de David ne traduit-il pas une rébellion légitime contre des choses inacceptables pour un enfant ?
Seule donc sa soeur le comprend. Les jumeaux s’inventent un langage, qu’ils sont seuls à comprendre. Ce langage est inspiré des personnages de Barbapapa (Hup, hup, hup, Barbatruc !) créés par Annette Tison et Talus Taylor. David adore tellement les trains que sa passion le mène a s’y identifier ; il est une locomotive ou il le deviendra, il en a la certitude. Seule Olive le croit comme la Wendy du Peter Pan de J. M. Barrie qui croit à l’existence du Boy Who Wouldn’t Grow Up.
La mère a une préférence marquée pour sa fille, qui est belle, douce et raisonnable. Elle est, en revanche, en conflit quasi permanent avec son fils, qu’elle ne comprend pas et qui l’exaspère. Dès les premières années s’installe entre la mère et le fils un rapport de force qui laisse peu de place à la tendresse. Même si elle l’aime, la mère a peur pour, et peut-être de, son fils, et ne sait pas comment gérer son comportement asocial. Pourtant, quand il se trouve seul avec Olive, David est calme et disert.
Et puis la nuit fatidique arrive et olive tient parole.
Un roman extrêmement touchant sur l’enfance, un monde merveilleux, avec son langage propre, un monde qui évolue selon des règles précises et strictes que les adultes parviennent difficilement à comprendre.
Pierre-Pascal Bruneau
Madelaine avant l’aube, Sandrine Collette
JC Lattès
Date de parution : 21 août 2024
ISBN : 9782709674539, 252 pages